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mercredi 13 mars 2024

 

Le peuple de l'abîme












Jack London

Ed livre de poche, 18/08/2021, 224 pages


1902 : Jack London bien qu’ayant vécu des années de galère, évoluant au gré des emplois qu’il pouvait trouver jusque vers 1894, décide de s’immerger dans les quartiers pauvres de Londres. Cette décision, il la prend en tant que journaliste et on constater que cet écrit, en plus d’un témoignage est un reportage complet sur la condition des miséreux de White Chapel, et plus que cela car on peut, entre les lignes, y voir une critique de la politique anglaise, côté obscur du beau règne de la reine Victoria, défunte au moment où notre journaliste déambule dans les rues, côté obscur  du règne d’Edouard VII, une analyse de la société anglaise en insistant sur la répartition des richesses, l’emploi, la précarité et l’injustice ambiantes.

Il commence son expérience en tentant de demander les services de l’agence Cook qui, trouvant cette idée saugrenue, refuse de coopérer comme si on demandait à ses employés de se rendre en enfer voire de signer leur arrêt de mort. On retrouvera ce comportement chez d’autres individus tels que le conducteur du cab qui l’emmène dans l’East end, le détective qui lui loue une chambre dans laquelle il pourra se réfugier en cas de problème et bien d’autres qu’il rencontrera sur son chemin de misère.

Puis commence sa descente aux enfers où il côtoiera une misère noire, une misère extrême, avec pour compagnons de route, des hommes qui cherchent leur pitance dans la boue, à l’affut du moindre noyau de cerise à croquer, des hommes qui se retrouvent, faute de place dans les asiles, dans l’obligation de marcher toute la nuit dans Londres, car la loi interdit de dormir lorsqu’on est dans la rue, il faut sillonner Londres, y compris se rendre  du côté de Westminster, attendre l’ouverture de Green Park à 5 heures du matin où, épuisé, on s’effondre sur les pelouses. Avec un peu de chance, on peut, de temps à autres, avoir une place à l’asile en échange de travail, un travail avilissant voire dangereux contre un quignon de pain sec et un peu de farine mélangée à de l’eau…

Ce que je décris, n’est que la face visible de l’iceberg hélas, on ira de surprise en surprise en constatant que les animaux sont largement plus nantis que ces groupes humains, que la haine n’a pas de limite, que les œillères de la bonne société londonienne sont très efficaces.

Etude très fouillée, Jack London va jusqu’à fournir des documents sur les procès et les peines des contrevenants aux lois, à établir le bilan des comptes d’une famille type, de ses besoins vitaux, montrant combien les revenus, lorsqu’il y en a, sont insuffisants, il fournit des statistiques qui renseignent sur la mortalité infantile, sur le statut des femmes, sur l’habitat et bien d’autres aspects du quotidien dans l’East end.

Ce livre, je l’ai ouvert après avoir visité le quartier de White Chapel au cours d’une visite conférence sur les pas de Jacque l’éventreur, durant laquelle la conférencière a bien insisté sur les conditions de vie dans ce quartier, terreau fertile pour les meurtres étant donné que les autorités ne s’y risquaient que rarement. J’ai donc doublement apprécié cet écrit : d’abord parce qu’il s’agit d’une intéressante analyse de la situation, et parce que j’y ai retrouvé des lieux, des noms de rues que j’ai parcourus, Un ou deux bâtiments qui existent encore aujourd‘hui. Cela m’a permis de relativiser, la noirceur absolue de la deuxième moitié du XIXème siècles et du début du XXème qui a laissé place à des conditions de vie qui, si elles ne sont pas idéales pour tous, respectent un peu plus les droits humains.

 

mercredi 28 février 2024

 La conjuration de Dante












Fabrice Papillon,

Ed Seuil, 08/03/2024, 544 pages


Belle découverte que ce roman de Fabrice Papillon dont je n’avais lu aucun livre. Je crois comprendre que notre héroïne, la commissaire Louise Vernay, possède en elle un passé perturbant. Et comme beaucoup d’enquêteurs, elle traîne des casseroles qui agissent sur son caractère, normal !

Et c’est probablement ce qui la rend comique parfois, attendrissante souvent, notre commissaire, directe, caractérielle, fonceuse, bagarreuse, téméraire, si vraie dans sa façon d’être, si dérangeante pour ses collègues qui semblent parfois éprouver quelques difficultés pour la suivre, car elle n’hésite pas à devancer ses co-équipiers.

L’intrigue est des plus prenantes, on s’attaque carrément à la matière grise des grands de ce monde, ce qui oblige le lecteur à se tenir sur ses gardes : victimes en binômes, assassins affectionnant les galeries, les cavités et autres souterrains en tous genre, événement qui ne laissent pas beaucoup de repos. Les personnages se côtoient pour produire un récit captivant : les bons, les dangereux, les pervers, les ambigus qui gravitent autour des lieux, des enquêteurs et des victimes.

Ces odieux meurtres ont, cela va de soi, une raison d’être, œuvre de quelques individus rassemblés pour une cause qui prend sa source dans la nuit des temps, ce qui explique un certain nombre de chapitres dont l’action se situe dans l’histoire.

Et j’ai beaucoup appris dans ce roman sérieusement documenté. Un passage m’a semblé un peu difficile, une sorte d’intermède où l’on ne comprend plus l’objectif des criminels, ni leur hiérarchie, je pense que ce passage est volontairement confus de la part de l’auteur pour permettre aux lecteurs de rebondir et d’avoir le plaisir de voir la situation se clarifier.

544 pages de délice donc, ou presque… Lecteurs sensibles s’abstenir.

vendredi 23 février 2024


Veiller sur elle






 









Jean-Baptiste Andréa,

Ed Iconoclaste, 17/08/2023, 580 pages



Je suis mimo, je ne suis plus qu’un souffle de vie,

Je suis mimo, petit homme,
Je suis né source timide, je suis devenu fleuve impétueux,
Mon père déposa dans mes mains un trésor,
Mes yeux voyaient ce que d’autres ne percevaient pas,
Mes yeux voyaient ce qui se cachait dans le marbre,
Petite source puis flaque de boue,
J’ai découvert la cruauté du monde,
Flaque de boue, puis fleuve immense,
j'ai accueilli la richesse.

Lisez en moi,
Vous découvrirez la vie,
L’Italie soumise aux tempêtes,
Guerres, communisme, fascisme et séisme,
Soleil, oranges, richesses, eau source de vie,
Balayée par la tramontane,
Le sirocco et Le libeccio
Le ponant et Le mistral.

Lisez en moi,
Je vous raconterai Viola,
Viola des ours, Viola du cimetière,
Viola qui volait sa liberté,
Viola qui rêvait de rejoindre les nuages,
Amitié amoureuse qui façonna ma vie,
Amitié haineuse qui laboura mon chemin,

Lisez en moi vous m’aimerez,
Vous porterez en vous mes amis les plus sincères,
Mes ennemis les plus vils,
Vous boirez chaque goutte de la vie qui à présent s’éteint,
Vous chercherez à percer ce mystère,
Cette piéta née entre mes mains,
Cette femme toute souffrance et beauté,
Façonnée par mes désirs, mes doutes, mon amour,
Façonnée par ma colère et mon désarroi
Je porte tout cela en moi,
Je vous l’offre vous le garderez au fond de vous,

A jamais.

lundi 19 février 2024

 

Okavango













Caryl Férey

Ed Gallimard, 17/08/2023, 544 pages



De ce roman, j’ai aimé bien des aspects bien qu’à mon avis de lectrice, l’action se soit fait attendre, mais qu’importe, le romancier avait besoin de ces importants passages documentaires pour exposer le problème du braconnage, des massacres des animaux, de l’enrichissement lié aux trafics de l’ivoire, de la kératine des rhinocéros et des animaux en tout genre et dont l’objectif est de satisfaire le besoin de luxe de quelques individus abjects, des passages documentaires dynamiques qui accrochent et révoltent souvent mais informent aussi sur les mœurs de certains animaux sauvages.  Ce ne sont donc pas ces passages qui ont pu susciter l’ennui que j’ai ressenti parfois, je pense plutôt qu’en raison de mon profil de lecteur, le suspense ne s’est manifesté qu’à la fin.

On a bien dès le départ, un crime odieux, une enquête longue à se mettre en route, une enquêtrice active mais gênée dans ses recherches, une foule de personnages qu’il a bien fallu situer, un contexte à décrire pour bien comprendre les situations de ces personnages.

Ennui parfois certes, mais révolte de ma part face aux souffrances infligées aux animaux, ce que je ne supporte pas et qui confirme bien qu’une partie du monde est vraiment malade.


Un autre intérêt de ce livre réside dans les comportements humains : des hommes sans scrupule, des personnages qui ont tourné le dos à leurs semblables pour épouser la cause animale, du machisme chez certains, du pacifisme et de l’empathie chez d’autres, des personnages souvent ambigus, et Solana notre héroïne déterminée à découvrir la vérité, et qui doit se battre au milieu de cette armée essentiellement masculine pour atteindre ses objectifs, ce qui la rend attachante.


Soulever le problème de l’élimination des animaux et du braconnage à travers une enquête est une excellente idée pour faire passer un message, aussi, bravo à l’auteur qui a su alerter l’opinion au sujet d’un grave problème, et nous faire comprendre que des hommes aujourd’hui luttent contre l’élimination des espèces et pour le respect des animaux. Leur tâche est ardue, l’espoir ne semble pas au rendez-vous et les trafiquants concernés agiront tant que des humains seront prêt à payer pour encourager ce trafic. C’est pourquoi de tels ouvrages sont indispensables. Un livre à lire absolument si l’on désire prendre conscience du problème.

mardi 13 février 2024

 

Hôtel Berlin 1943













Vicki Baum

Ed Métailié, 9/09/2021, 306 pages



Une belle découverte que ce roman de Vicki Baum, autrice prolifique qui a publié entre 1914 et 1957. Hôtel Berlin 1943 est une œuvre tout à fait particulière et on ne peut l’aborder sans savoir que ce roman a été publié en 1943, bien avant que surviennent les événements décrits qui toutefois se produiront.

Il s’agit d’un huis clos dont l’action se situe dans un hôtel de luxe à Berlin. Parmi les résidents, on compte des militaires dont certains sont gradés, des prisonniers dont un écrivain anglais, deux femmes ; l’une d’elle, Lisa Dorn est actrice, protégée par le führer, l’autre humiliée pour avoir fréquenté un juif, se prostitue pour essayer de vivre, on remarquera également la présence de nombreux membres de la gestapo qui recherchent Richter, un étudiant insurgé fugitif.

Nous sommes en 1944, témoins des conversations et de l’action qui se déroule dans l’hôtel. Richter se cache et cherche un moyen de sortir, il se retrouve en contact avec des personnages prêt à l’aider… ou pas, il côtoiera la belle Lisa, égayant quelque peu un roman de guerre y ajoutant une touche sentimentale qui n’est pas pour déplaire.

Mais les conversations traduisent tout de même l’horreur de la guerre, les privations, la propagande, la dictature, la torture,  la mort omniprésente, le massacre engendré par la chute de Berlin sous les bombardements russes, la capitulation prochaine de l’Allemagne peu à peu privée de ses alliés, économiquement asphyxiée, l’impopularité croissante d’Hitler abandonné par ses généraux.

Vicki Baum exilée aux Etats-Unis depuis 1931, s’est servi de témoignages qu’elle a reçus et d’une certaine intuition pour nous livrer ce récit extraordinaire, elle semble vraiment avoir œuvré pour transmettre le ressenti de la population allemande qui ne supportait plus cette guerre interminable et la surprise de quelques nantis qui se retrouvent sous les bombardements et qui ne deviennent plus que des humains terrorisés partageant la même condition. La terreur est admirablement communiquée alors que les bombardements s’intensifient, je n’ai jamais vécu un tel événement, mais je peux affirmer que j’ai eu vraiment cette impression de partage avec ces gens réfugiés dans les caves. Ce devait être terrible, on le ressent, surtout lorsque l’on sait que Berlin fut totalement détruite.

Un épilogue aurait été bienvenu pour connaître le devenir de certains personnages. Il s’agit toutefois d’une fin suffisamment ouverte pour permettre au lecteur d’imaginer cet épilogue.

Je remercie les organisateurs du challenge solidaire sans lesquels je n’aurais jamais lu ce livre ni découvert son autrice.

 

dimanche 4 février 2024

 

Le petit lynx











Nathalie Bianco

Ed Sixième(s), 26/10/2023, 318 pages


Je remercie infiniment Babelio et les éditions Sixième pour m’avoir donné l’occasion de déguster cette pépite.

On y fait connaissance d’un vilain petit canard, un enfant « pas comme les autres », pénible pour ses proches, issus d’Algérie, pénible particulièrement pour sa maman qui ne semble pas avoir la fibre maternelle à son égard, pour ses frères, deux jumeaux, des enfants particulièrement choyés par leur mère, un pauvre môme qui tente de se faire une place dans cette famille peu accueillante. Sa particularité, c’est qu’il a appris à lire seul et a découvert un refuge, celui des livres. N’ayant pas accès à la bibliothèque (sa mère refuse de lui permettre de s’inscrire), il est accueilli par les Grosset, ses voisins : une bibliothécaire qui comprendra son malaise, et son mari, un homme qui en veut à la terre entière et lui fera comprendre sa colère et son racisme.

Enfants anxieux, qui perçoit bien les malaises des autres et comprend que de grands secrets pourraient expliquer le comportement des adultes, c’est là un des aspects qui captent le lecteur. Mais ce ne sont pas les seuls : un grand nombre de personnages vont et viennent dans le roman, avec leur tempérament, leurs croyances, leur façon de communiquer, leurs maladresses. On y ajoute un héros charmant et pas si pénible, un enfant qui essaie de comprendre la vie et les gens, un enfant qui a pour projet de devenir écrivain et qui nous livre son premier roman, celui de sa vie encore courte mais si remplie.  

Des passages humoristiques liés à sa naïveté, à son envie d’apprendre avec en fond, des sujets graves qui font réfléchir.

Bravo à l’autrice, qui a su se mettre dans la peau de l’enfant et reprendre des expressions et des tournures qui font sourire et qui ne sont pas sans rappeler le petit Nicolas.

Belle découverte, excellents moments de lecture.

 

vendredi 26 janvier 2024

 

Le désert des Tartares












Dino Buzzati, 

Ed livre de poche, 21/10/2006, 288 pages



J’ai profité de la proposition du challenge solidaire pour me plonger dans un classique que je n’avais pas lu. Je suis à présent heureuse de l’avoir lue bien que je me sois sentie mitigée durant une bonne moitié de cette œuvre. Le sujet ne me passionnait pas, le milieu militaire ne faisant pas partie de mes sujets favoris, mais pourquoi pas ? Certains passages m’ont paru longs, très longs, toutefois, l’écriture de Dino Buzzati est si fluide que je l’ai lu comme on lit un conte. Et c’est en grande partie cette agréable narration qui m’a permis d’aller au bout de l’histoire.

Je me suis ensuite aperçue que le sujet, cette histoire d’un jeune officier envoyé au fort Bastiani, en bordure de désert, est à reléguer au second plan et que le choix du sujet permettait d’aborder de grands thèmes philosophiques.

Le héros, Giovanni Drogo commence sa carrière militaire, il est envoyé dans ce fort, long est le chemin, une route vers une sorte de naissance qui gomme sa vie antérieure, la vie facile d’un citadin bien que les classes lui aient parues bien difficiles. Puis il arrive dans un lieu austère et saisissant, un lieu qui renferme ses secrets et ses mystères, un fort énigmatique dont on peut probablement sortir un jour pour s’ouvrir à la vie ou un lieu dans lequel l’on reste pour devenir un héros… Mais la vie est courte…

Ce roman, c’est l’histoire de chacun de nous, c’est le grand thème de la fuite du temps, celui de l’attente et des questions que l’on est amené à se poser au bout du chemin : qu’ai-je fait de ma vie ?

J’aurais donc pu refermer ce roman qui ne m’aurait laissé alors, que peu de souvenir, mais ce ne fut pas le cas. Même dans mes moments de doute, je ne pouvais arrêter ma lecture tout en ignorant ce qui me fascinait dans cet écrit. Je l’ai compris à la fin. On nourrit de grands espoirs, dans le cas de Drogo, l’espoir d’exercer ses fonctions de soldat : l’arrivée de la guerre et le combat, et chez nous autres humains, l’espoir d’une vie remplie, de plaisir, de plénitude, espoir qui peut laisser place à bien des regrets.

C’est en frissonnant à présent que j’écoute la chanson de Brel : Zangra. J’ignorais que cette chanson était inspirée du roman. J’ai beaucoup appris grâce à cet écrit philosophique que je recommande !